16 Novembre 2016

Des glaciers jumeaux s'effondrent sous l’œil des satellites

Grâce aux satellites, il a été possible d'anticiper pour la 1ere fois l'effondrement d'un glacier. On vous raconte toute l'histoire. Il était une fois au Tibet...

Crédits : Copernicus Sentinel Data 2016. 

Il était une fois...

Il était une fois 2 glaciers jumeaux perchés à plus de 5 000 m d'altitude sur les hauteurs de l'Himalaya. Sans crier gare, l'un d'eux s'effondra. Sa langue de glace dévala une pente pourtant peu abrupte. L'avalanche monstreuse tua 9 villageois dans le village en contrebas. 

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Crédits : CNES 2016, Distribution Airbus DS / Berthier-Gascoin (CNRS).

Pourquoi ce glacier s'est-il détaché de son sommet ?

Un groupe de chercheurs internationaux, experts en risques glaciaires, se mobilisa. De mémoire humaine, un seul effondrement de glacier de montagne était connu. Il avait eu lieu en 2002 dans le Caucase causant une centaine de victimes. Pour mener leur enquête, les scientifiques ne prirent pas l'avion. Ils ne s'équipèrent pas non plus de chaussures d'alpinisme. Ils sortirent toutes les images de satellites existantes depuis 1973. Sur des images du satellite radar allemand TanDEM-X, ils remarquèrent que le glacier s'était considérablement avancé entre 2011 et 2013. 

Pendant ce temps, à Toulouse...

A Toulouse, cette histoire d'effondrement repris fin août par les médias interpella Simon Gascoin, un chercheur du CESBIO, un laboratoire sous co-tutelle du CNES. Sentinel-2A, le satellite européen d'observation de la Terre, n'aurait-il pas capturé la scène de la catastrophe ? Financé par la commission européenne, le satellite est programmé pour survoler tous les 10 jours une même zone et ses données sont en libre accès. C'est l'un des atouts du programme Copernicus dans lequel il est intégré : faire que tout un chacun puisse accéder, rapidement, à des données et images satellitaires.

De nombreux sites Internet proposent aujourd'hui ces données : Peps du CNES, Google Earth Engine, Sentinel Playground… Sur ce dernier, Simon repère une image sans nuages datant du 21 juillet 2016, soit 4 jours après l'effondrement du glacier. L'avalanche saute aux neiges : elle s'étend sur 6 km jusqu'au lac Aru Co. Le 25 août, Simon publie l'image Sentinel-2A sur le blog du CESBIO. Elle est reprise par la NASA qui la compare avec une image acquise avant la catastrophe, le 24 juin 2016 par son satellite Landsat-8. Les 2 images se superposent de manière quasi-parfaite !

Crédits : NASA Earth Observatory images by Joshua Stevens, using Landsat data from the U.S. Geological Survey ; Copernicus Sentinel Data 2016.

Alerte sur le frère jumeau 

Le 21 septembre au petit matin, Simon apprend qu'un glacier jumeau, situé 3 km plus au sud, s'est aussi avancé de manière préocuppante entre 2011 et 2013. Ni une, ni 2 (et sans avoir pris son petit déjeuner), Simon séquestre l'ordinateur de sa femme (et son bureau) à la recherche d'images de Sentinel-2A. Sur une image du 19 septembre 2016, il remarque de vastes crevasses de plusieurs km de long sur la tête du glacier, absentes d'une image acquise le 6 septembre 2016.

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Image acquise par le satellite Sentinel-2A le 19 septembre 2016. Crédits : Copernicus Sentinel Data 2016.

Il en informe le groupe d'experts en risques glaciaires qui font suivre l'information à leurs collègues chinois qui alertent à leur tour les autorités locales. Le glacier s'effondre le jour même, le 21 septembre 2016, sur une distance d'environ 5 km, sans faire de victimes. 

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Crédits : CNES 2016, Distribution Airbus DS / Berthier-Gascoin (CNRS).

L'histoire serait-elle finie ?

Et bien non ! Simon a sollicité son collègue Etienne Berthier, expert de l'utilisation des satellites pour l'étude des glaciers. Via le programme ISIS du CNES, ils ont demandé aux satellites Pléiades de pointer leurs instruments sur la zone. Objectif : acquérir non pas une image mais un couple d'images stéréo afin de réaliser des vues en 3D de la zone (celles qui illustrent cette histoire). Après plusieurs tentatives nuageuses, un couple stéréo est acquis le 1er octobre 2016. Les chercheurs peuvent estimer les volumes de neige et de glace déplacés : le 1er glacier a perdu 66 millions de m³ (22  000 piscines olympiques) et le second, 83 millions de m3 (28 000 piscines olympiques). La seconde avalanche a donc été la plus importante alors que, visuellement en 2D, elle semblait plus petite car moins étalée que la 1ere. 

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Crédits : CNES 2016, Distribution Airbus DS / Berthier-Gascoin (CNRS).

Un triste conte du réchauffement climatique ?

Les chercheurs sont encore perplexes. ''Ces 2 effondrements semblent être la conséquence de la présence d'eau liquide à la base du glacier qui agit comme un lubrifiant. L'impact du réchauffement climatique reste à éclaircir. C’est clairement un facteur aggravant'' indique Simon Gascoin. Vous l'aurez compris, les investigations se poursuivent !

bientôt Sentinel-2B !

En 2017, Sentinel-2A sera rejoint par son jumeau le satellite Sentinel-2B. A eux 2, ils assureront une revisite d'un même site tous les 5 jours. Objectifs : suivre à haute résolution l'évolution de la végétation, l'occupation des sols et l'impact du réchauffement climatique. La mission Sentinel-2 fait partie du programme d’observation et de surveillance de la Terre, Copernicus, conduit par l'Union Européenne. Elle est héritière du programme SPOT du CNES.